Entretien avec Caroline Ducenne de Yuugi

Entretien avec Caroline Ducenne de Yuugi

Pouvez-vous présenter « Yuugi » ?

 

Yuugi est un service de correspondance un peu comme avant, quand nous avions des correspondants en secondaire. Yuugi, c’est un peu cela mais en version “rassurante” avec un service humain derrière que les gens peuvent contacter. 

C’est un service de correspondance qui permet de faire de nouvelles rencontres, de nouvelles connaissances en toute amitié. Yuugi veut justement dire “lien d’amitié” en japonais. 

Par le biais du courrier, du mail ou du téléphone. On a souhaité réintroduire le courrier postal parce que cela permet aux personnes de faire le choix du rythme de l’échange et de la forme de l’échange. Le courrier postal donne une tout autre dimension à l’échange.

 

 Quelle est l’histoire derrière Yuugi ? 

 

Nous sommes 3 anciennes collègues qui ont travaillé des années ensemble à l’asbl aidants proches. Nous avons fait le constat de l’isolement et la solitude sur les aidants proches mais aussi de l’entourage de personnes atteintes de maladie ou de handicap et des conséquences d’aggravation que cela pouvait avoir. On a eu envie de créer quelque chose ensemble et c’est ce point commun qui nous a réunies. 

Comme nous avions un travail le jour, un service de correspondance comme Yuugi était possible à créer pendant nos moments creux. Il y a deux ans et demi, après avoir fait le tour de certains projets qui se développaient en termes de lien social, on s’est rendu compte qu’il y avait de nombreux services de proximité qui proposaient des rencontres et beaucoup d’activités. Mais il y avait encore beaucoup de publics qui ne participaient à rien. A partir de ce moment-là, on s’est dit que la correspondance pouvait être un maillon supplémentaire qui permettrait aux personnes les plus en manque de lien social de faire un pas à distance pour reprendre, petit à petit, l’habitude de créer du lien social. 

 

 

Est-ce que Yuugi est destiné à tous les publics ou seulement les personnes isolées ? 

 

Yuugi est destiné à tous les publics. Au départ, on pensait que ça allait concerner principalement les personnes isolées et les ainés. Finalement, on a toutes les tranches d’âge qui souhaitent s’inscrire pour faire connaissance avec des personnes de leur génération ou pas. C’est aujourd’hui un projet tout à fait intergénérationnel, transgénérationnel et intragénérationnel qui est le plus inclusif possible. Nous voulons vraiment qu’au fil du temps, Yuugi soit accessible au plus grand nombre et permettre de viser la mixité des publics dans la création de mise en relation.  

 

En quoi Yuugi favorise le rapprochement des personnes isolées ? 

 

En fait, les personnes qui s’inscrivent à Yuugi nous donnent quelques informations sur elles. Ce sont des informations assez basiques comme par exemple : “Etes-vous un homme ou une femme ?”, “Quel est votre âge ?”, “Souhaitez-vous faire connaissance avec un homme ou une femme ?”, “Qui habite près de chez vous ou peu importe ?”, “De votre génération ?”, “Quels sont vos centres d’intérêts ?”. Sur base de ces informations, on fait une recherche dans notre base de données et on voit qui on pourrait proposer de mettre en relation. On communique aux personnes le nom de quelqu’un avec qui prendre contact et l’aventure commence entre ces deux personnes. 

Nous sommes partenaires de la relation dans le sens où si l’un ou l’autre correspondant rencontrait un problème, ils peuvent nous joindre lors d’une permanence téléphonique accessible 3 jours par semaine. 

Nous avons pas mal de belles histoires d’amitiés qui se sont créées grâce aux correspondances. Des personnes qui ont commencé par s’écrire et qui ont fini par se voir et partager des moments ensembles. 

 

Comment s’inscrire à Yuugi ? 

 

Il y a plusieurs façons de s’inscrire. On se rend bien compte que le site internet n’est pas accessible à tous. Via le site, il y a moyen de s’inscrire seul de A à Z avec une démarche sécurisante et rassurante.

Les personnes peuvent aussi faire ça de façon numérique via un échange au départ du site et puis une fois qu’elles ont signé la clause de consentement, elles remplissent un petit profil dont j’ai déjà parlé avant qui nous permettra de faire la mise en relation.

Une autre façon de le faire est de manifester son intérêt de vouloir s’inscrire via le site aussi mais en demandant d’être contacté. A ce moment-là, on prendra contact avec les personnes par téléphone et faire l’inscription avec elles.

La dernière solution est de couper le petit talon réponse présent sur le flyer et nous l’envoyer par la poste. Nous prenons ensuite contact avec la personne par téléphone. On leur explique et on répond à leurs questions. Si elles souhaitent s’inscrire, on leur envoie des documents à lire et signer par la poste. Une fois qu’on les a en retour, on les recontacte par téléphone pour compléter leur profil et les inscrire définitivement. 

On organise aussi un petit suivi pour être sûr que les correspondances aient commencé, on prend des nouvelles de temps en temps, on montre qu’on est toujours disponible.

Plus d’informations sur le site : Yuugi

 

Entretien réalisé par Diego Merandino

Le témoignage d’Arnaud, dont la conjointe souffre de troubles bipolaires

Le témoignage d’Arnaud, dont la conjointe souffre de troubles bipolaires

Les personnes atteintes de troubles bipolaires souffrent beaucoup, lors de leurs phases hautes et lors de leurs phases basses. On le sait sans doute moins, mais leurs proches qui les aiment partagent fortement ces souffrances. Le témoignage d’Arnaud, dont la conjointe souffre de troubles bipolaires.

 

Mariette : Arnaud, vous êtes confronté au quotidien avec la question de la bipolarité. Pouvez-vous décrire votre situation ?

 

Arnaud : Je connais Annick depuis bientôt 30 ans, bien que notre vie amoureuse n’ait débuté qu’il y a presque 3 ans. Au cours de mes études, je m’étais intéressé à la psychiatrie. Lorsque je suis tombé amoureux d’Annick, je pensais être bien informé sur son trouble, ou du moins je savais à quoi m’attendre. Je n’ai pas vécu de crise aigüe d’Annick : même si j’ai été là, notamment, pendant des épisodes très éprouvants pour elle, notre vie commune au quotidien a débuté alors qu’elle était déjà bien engagée dans un processus de rétablissement. Je suis divorcé, j’ai 4 enfants que je partage avec Annick. Ils sont au courant de son trouble et ils savent qu’ils peuvent nous interroger s’ils se posent des questions. Ils savent aussi à quel point il est important qu’Annick puisse s’isoler ou se reposer quand elle en ressent le besoin.

 

Mariette : Comment vous êtes-vous renseigné à ce sujet, et quels enseignements en avez-vous tirés?

 

Arnaud : J’ai surtout fait confiance à Annick pour me parler d’elle-même, de *son* trouble bipolaire, de ses besoins. J’ai la chance qu’Annick ait beaucoup de recul sur la maladie, ce qui lui permet entre-autres de me donner le « mode d’emploi d’Annick ». Quand j’en ai réellement besoin, même lorsque c’est très difficile pour elle, elle parvient à m’expliquer ce que j’ai du mal à comprendre. Je participe aussi régulièrement aux groupes de parole du Funambule, où je découvre d’autres facettes du trouble bipolaire. J’ai le sentiment qu’Annick et moi avançons ensemble dans la découverte de la maladie – même si Annick a beaucoup d’avance sur moi : elle ne m’a pas attendu pour apprendre à se gérer (rires). J’ai aussi lu quelques articles sur Internet et quelques livres. Vivre aux côtés d’Annick m’apprend aussi beaucoup sur moi, sur mes propres émotions et sur la façon de les vivre, de les gérer et de les exprimer.

 

 

Mariette : Concrètement, comment venez-vous en aide à votre conjointe et éventuellement à votre famille ?

 

Arnaud : Quand elle me présente une difficulté, je lui propose des solutions pour les alléger, mais je ne lui en impose pas. Je me tiens disponible mais je ne m’impose pas. Je ne suis pas là pour sauver Annick, elle seule peut faire cela. Je l’accompagne, je partage les bons moments avec elle, et – naturellement – je m’efforce d’être un soutien (ou de pouvoir l’être) dans les moments plus difficiles. Je ne suis ni un médicament ni une béquille. Bien sûr, l’amour que j’éprouve pour elle me pousse à vouloir la protéger – mais je ne me vois pas investi de la mission de la protéger d’elle-même. Cela, c’est sa propre mission, et même si elle le fait seule depuis des années, j’essaie de lui faciliter la tâche du mieux que je peux. En ce qui concerne mes enfants, et nos proches, chaque fois que je peux, je consulte Annick pour savoir si ce que je pense faire ou dire lui paraît juste, et j’agis avec bienveillance. Je suis convaincu que les enfants peuvent tout comprendre, peuvent s’adapter à tout, pour autant que l’on reste honnête et cohérent avec eux, qu’on leur explique et qu’on réponde à leurs questions. Il n’y a rien de pire pour un enfant que ce qu’on ne lui dit pas.

 

Mariette : Votre mot de la fin ?

 

Arnaud : Aimer quelqu’un qui souffre apporte son lot de souffrances, de frustrations. Annick s’efforce de ne pas projeter sa douleur sur moi, je m’efforce de mettre en perspective ma propre douleur, mes frustrations. Annick parvient souvent à accueillir ma souffrance, je choisis les moments où je pense qu’en parler avec elle sera le plus efficace. La ligne du Funambule m’a aussi apporté beaucoup de soutien lorsque je doutais.

 

Le plus important selon moi c’est d’être disponible l’un pour l’autre, à l’écoute l’un de l’autre, et de s’efforcer d’être dans la bienveillance et dans le respect (de l’autre et aussi de soi-même). Cela n’est pas limité aux personnes qui souffrent du trouble bipolaire …

 

Propos recueillis par Mariette Delcoux

 

 

« Tous fous ?! Parler autrement de la santé mentale », une initiative de la Fondation Roi Baudouin

« Tous fous ?! Parler autrement de la santé mentale », une initiative de la Fondation Roi Baudouin

Les usagers en santé mentale se plaignent souvent de la manière dont cette thématique est traitée dans les médias et dans la société. Ils estiment que l’on donne une mauvaise image des personnes avec des troubles psychiques. La Fondation Roi Baudouin a donc voulu étudier les représentations sociales de la santé mentale.

Pour ce faire, nous avons contacté l’Institut d’Etude des Médias de la KUL. Là-bas, le Professeur Baldwin Van Gorp a réalisé ce qu’il appelle une étude de framing. Les frames, ce sont les images négatives et positives qui sont véhiculées à propos d’un thème. Une analyse d’articles, de documentaires, de films, de journaux télévisés et radio permet d’extraire ces frames. La Fondation Roi Baudouin a financé cette recherche et elle souhaitait que les résultats de celle-ci ne restent pas dans les tiroirs d’un bureau. C’est pourquoi la Fondation a décidé d’agir dans trois secteurs : la santé mentale, la justice et les médias. Pour la santé mentale, nous avons organisé un appel à projets pour travailler sur les représentations sociales dans différents types d’organisations (maisons médicales, hôpitaux, services de santé mentale, …). Pour la justice, nous avons collaboré avec l’Institut de Formation Judiciaire (IFJ). Nous y avons mis sur pied une formation à destination des magistrats (notamment les juges de paix) en contact avec des justiciables qui peuvent avoir des troubles psychiques.

Pour le secteur des médias, nous avons organisé un concours dans les écoles de journalisme, pour sensibiliser les étudiants en les faisant travailler sur les frames, lors de la réalisation d’un article, une émission radio ou TV, un site web, … Nous avons aussi collaboré avec le CRéSAM (centre de référence en santé mentale). En collaboration avec des usagers et des professionnels, le CRéSAM est allé à la rencontre des rédacteurs en chef et des journalistes pour leur donner des conseils pratiques quant à une manière de communiquer de manière plus nuancée sur la santé mentale. Lors de ces réunions, l’accent a été mis notamment sur l’importance de distinguer la personne de la pathologie et de bien choisir les mots et les images, notamment dans les informations relatives à des faits criminels. Toutes les personnes ayant des troubles psychiques ne commettent pas des actes répréhensibles…

Pour changer les représentations sociales de la santé mentale et œuvrer à la déstigmatiser, c’est un travail de longue haleine car les mentalités ne changent pas facilement. La récente crise sanitaire aura sans doute eu un effet positif, c’est que la question des troubles psychiques est venue à l’avant-plan et que les gens se sont dit « cela peut arriver à tout le monde ».

                                                           Une interview de Yves Dario, propos recueillis par Franca Rossi

 

 

 

Liens de téléchargement des documents cités dans l’article :

 

– Étude sur les représentations sociales :

https://kbs-frb.be/fr/se-representer-autrement-les-personnes-avec-des-troubles-psychiques-analyser-nuancer-destigmatiser

 

– La brochure :

https://kbs-frb.be/fr/tous-fous-parler-autrement-de-la-sante-mentale

 

– Les conseils pratiques pour les professionnels des médias :

https://kbs-frb.be/fr/sept-conseils-pour-communiquer-propos-de-la-sante-mentale

 

 

– Les conseils pratiques pour les professionnel de la justice :

https://kbs-frb.be/fr/sept-conseils-pratiques-pour-mieux-aborder-les-personnes-avec-un-trouble-psychique-dans-un-contexte

 

 

– Le rapport de synthèse sur les projets menés par les professionnels des soins en santé mentale :

https://kbs-frb.be/fr/communiquer-autrement-propos-des-troubles-psychiques-dans-un-contexte-de-soin

La Psychothérapie Centrée sur la Personne et Expérientielle

La Psychothérapie Centrée sur la Personne et Expérientielle

Jean-Marc Priels est psychologue clinicien et psychothérapeute, il est aussi facilitateur du groupe de parole de Jette au sein du Funambule. En 2021, il co-écrit “Psychothérapie centrée sur la personne et expérientielle, fondements et développements contemporains” avec Emmanuelle Zech, Gaston Demaret et Claire Demaret-Wauters.

Dans cette interview réalisée par Diego Merandino, chargé de projet au Funambule, Jean-Marc Priels décrit la Psychologie Centrée sur la Personne et Expérientielle (PCPE) et parle de l’utilisation de cette psychothérapie pendant les groupes de parole. 

Diego Merandino: Bonjour Jean-Marc Priels, tu as co-écrit un ouvrage en 2021 qui s’intitule la Psychothérapie Centrée sur la Personne et Expérientielle (PCPE). Peux-tu expliquer ce qu’est la PCPE ? 

Jean-Marc Priels : La PCPE constitue l’une des quatre grandes familles de psychothérapie. On connaît bien les psychanalyses, les thérapies familiales et systémiques et leurs différentes écoles (Bruxelles, Milan, Rome, Montpellier, etc.), les thérapies cognitivo-comportementales (1ère vague, 2ème vague, 3ème vague) mais il existe également, la Psychothérapie centrée sur la personne et expérientielle (PCPE) qui est une forme de psychothérapie qui a vu le jour en 1940 aux Etats-Unis et dont le fondateur est un Carl Rogers. Ce psychologue enseignant et chercheur qui a étable les fondements pratiques et théoriques de l’écoute centrée sur la personne pour les valider scientifiquement. 

Il s’agit d’une forme de psychothérapie classique qui s’est sans doute moins répandue en Europe francophone mais qui est répandue partout dans le monde. Nous avons co-édité un livre avec Emmanuelle Zech qui est professeure à l’université catholique de Louvain, avec Gaston Demaret et Claire Demaret-Wauters qui sont tous les deux très actifs dans l’Association Francophone de Psychothérapie Centrée sur la personne et expérientielle (AFPC) qui est basée à Bruxelles qui donne des formations (www.afpc.be). Ce livre a coordonné l’écriture d’une vingtaine d’auteurs. Il présente les chapitres principaux qui peuvent décrire la PCPE et fait état de la littérature internationale  et de la validation scientifique actuelle. L’ouvrage a été préfacé par Robert Elliott, chercheur de renommée internationale sur le thème de l’efficacité des psychothérapies.

Diego Merandino : Tu mentionnais Carl Rogers, il a développé un courant qui est celui de l’Approche centrée sur la personne (ACP). Ce concept revient souvent dans l’ouvrage et il est en lien avec la Psychothérapie Centrée sur la Personne et Expérientielle.            

Jean-Marc Priels : Bien sûr, Carl Rogers considérait qu’une personne ne se développe pas toute seule. Une personne se développe en relation, en contact. Carl Rogers a beaucoup abordé la notion de rencontre et l’a bien conceptualisée. Un de ses grands livres s’intitule “les groupes de rencontre”. Les groupes de parole tels qu’ils sont présentés et facilités dans l’association le Funambule s’inspirent de cette manière d’entrer en lien.

Le terme de facilitation vient d’ailleurs de Carl Rogers. Le terme de groupe de parole est lié à l’approche centrée sur la personne au départ. Les groupes de rencontre’ est un livre que l’on peut conseiller à toutes les personnes qui facilitent des groupes de parole. En lisant ce livre, les personnes reconnaîtront leur capacité à faciliter un groupe de rencontre. Un chapitre central s’intitule d’ailleurs “Suis-je capable d’animer ou de faciliter un groupe”. Les personnes qui participent aux groupes du Funambule y reconnaîtront tous les différents moments existentiels de ce qui peut être vécu dans un groupe.

Carl Rogers était réellement centré sur les personnes qu’il écoutait. Quand il écrivait, il se basait sur des éléments du vécu des personnes qu’il avait observées. Il n’est pas parti d’une théorie qu’il appliquait à la pratique ; Au contraire, il observait dans la pratique ce qui se passait, ce qu’il pouvait décrire et c’est à partir de là qu’il a élaboré une théorie pour la valider scientifiquement. L’objet de notre livre était de montrer l’état des lieux de la recherche actuelle sur la question.  Le livre que nous avons co-édité a une teneur assez académique principalement destiné à des étudiants, à des personnes qui se forment ou des personnes qui s’intéressent à la psychologie au sens classique du terme.  

Diego Merandino : A l’origine américaine, qu’en est-il de la Psychothérapie Centrée sur la Personne et Expérientielle en Belgique actuellement ? 

Jean-Marc Priels : Un des grands centres de recherche et d’enseignement sur la PCPE a toujours été l’université catholique de Louvain (KU Leuven) qui a été dès les années 50 une des voies d’introduction de la psychothérapie centrée sur la personne en Europe. Les premiers ouvrages publiés en français venaient de la KU Leuven.   En Belgique francophone, c’est une association – Association Francophone de Psychothérapie Centrée sur la personne et expérientielle” qui a assuré depuis la fin des années 80, la formation de toute personne intéressée par l’approche centrée sur la personne. Actuellement la PCPE est également enseignée dans le cadre d’un certificat universitaire de la Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation de l’UCLouvain (Louvain-la-neuve).
La PCPE s’était effacée de l’université francophone en Belgique depuis la fin des années 80. Or, dans le sillage de la nouvelle loi sur la psychothérapie, elle a resurgi. A UCLouvain, le professeur Emmanuelle Zech a réintroduit les cours inspirés de l’ACP dans le cursus de a faculté de psychologie et a créé un certificat complémentaire de PCPE pour des médecins et des psychologues cliniciens qui veulent se former à cette forme de psychothérapie humaniste. Ce livre vient d’une nécessité de pouvoir donner un état des lieux de la recherche universitaire et conceptuelle de la PCPE et de ses évolutions récentes.
 

Diego Merandino : Est-ce qu’il y a d’autres thématiques abordées dans le livre ?             

Jean-Marc Priels : L’ouvrage est essentiellement centré sur la PCPE Il en présente les lignes principales  envisagée au départ de façon classique depuis les années 40 suite à de célèbres articles de Carl Rogers. En 56-57, elle s’est élargie et quelques nouveautés qui ont été introduites et elle a évolué. Le sous-titre de notre livre  indique “Fondements et développements contemporains”. Nous trouvons en effet des chapitres sur le Focusing qui est une approche de travail focalisée sur le corps, sur les applications en groupe, sur la thérapie par les arts expressifs, sur l’entretien motivationnel, sur la psychothérapie centrée sur les émotions qui est un des grands développements actuels ou encore sur la Pré-thérapie qui permet de travailler avec des personnes qui ont des besoins spécifiques de contact parce qu’ils vivent avec des processus hallucinatoires, délirants, des processus de déclins cognitifs ou de non-acquisition de ressources cognitives suffisantes.

La PCPE est un corpus, une pratique théorique et scientifique qui reste en évolution.  Il était nécessaire d’en faire l’état des lieux dans un livre parce que toute cette évolution s’est faite essentiellement aux Etats-Unis, en Autriche, au Japon, en Allemagne, en Russie, très fort en Amérique du Sud ou en Italie, etc. mais dans une littérature essentiellement produite en langue étrangère. Nous avons tenté de faire l’état des lieux des connaissances internationales. 

 Diego Merandino : Au niveau pratique, comment expliquer la PCPE ? 

Jean-Marc Priels : Le concept qui a été le plus mis en avant par la PCPE est le concept d’empathie mais elle ne se limite en rien à cette attitude. Carl Rogers dans sa recherche, dès les années 50, a également validé le fait que la psychothérapie fonctionne si le psychothérapeute ou l’écoutant est vraiment lui-même au moins à minima au moment de la thérapie, c’est-à-dire qu’il est congruent. La congruence est une première condition de base. La deuxième condition de base propre au psychothérapeute est qu’il pose sur la personne qui est écoutée un regard positif inconditionnel.  La troisième condition est celle qui est la plus connue de l’écoute compréhensive. Cette écoute est empathique. Chez Carl Rogers, le processus psychothérapeutique ne fonctionne cependant pas si la congruence du thérapeute, le regard positif inconditionnel et l’empathie ne sont pas présents ensemble dans l’attitude du thérapeute.            
 

Un autre concept important de Carl Rogers dans la psychothérapie, c’est qu’il faut qu’il y ait un minimum de contact psychologique entre l’écoutant et l’écouté. Pour les personnes bipolaires, il convient parfois de restaurer et renforcer ce contact psychologique. Etablir le contact psychologique et ne pas le perdre est important. Il convient que la personne qui est écoutée perçoive que toutes ces conditions soient présentes lors de la rencontre avec le thérapeute.

Ce qui est « magique » dans les groupes du Funambule, les personnes disent “je suis venu et je me suis senti écouté par des pairs qui sont vraiment eux même dans leurs témoignages, qui acceptaient ce que je disais, qui étaient authentiques et empathiques par rapport à ce que j’ai pu exprimer”.  De ce point de vue, la pair-aidance est un levier extraordinaire. Si le groupe de parole est bien facilité, l’écoute n’appartient pas uniquement au psychothérapeute. Elle est partagée par chacun. 

Diego Merandino : Tu es bénévole dans l’association le Funambule, peux-tu expliquer ce qu’est un groupe de parole et comment cela se déroule ?  

Jean-Marc Priels : Le cadre d’un groupe de parole est très simple. En soi, il suffit de dire une seule chose “Mesdames, messieurs, nous sommes ici rassemblés dans un cercle de chaises, nous avons 2 heures devant nous. Ce qui nous rassemble, c’est notre bipolarité. Et puis, écoutons-nous …” Si les conditions d’écoute sont présentes, le processus du groupe va se développer et les personnes vont ressortir de ce groupe avec une évolution positive. Les ingrédients sont très simples mais ce sont des ingrédients d’attitude à mettre en place par le facilitateur. Cela nécessite beaucoup de contact psychologique, beaucoup de présence, beaucoup de profondeur relationnelle.  Toute parole est la bienvenue même si nous ne sommes pas obligés de parler. C’est avant tout un groupe d’écoute. La parole c’est le corollaire de l’écoute. 

 Diego Merandino : Quel est le rôle d’un facilitateur dans les groupes de parole ?  

Jean-Marc Priels : Le rôle du facilitateur est de faire respecter une certaine partie des règles et la charte du Funambule. Il ne faut pas que les personnes se comparent entres elles, ne pas parler de la médication et ne pas poser de diagnostic. Si c’est nécessaire, inviter la personne à questionner son médecin. 
Le facilitateur pose un cadre de confidentialité et de respect mutuel. Le rôle du facilitateur est de respecter la charte éthique du Funambule et puis de faciliter dans le groupe la prise de parole de chacun. Il veille également à ce que les personnes ne partent pas avec quelque chose qu’elles auraient voulu dire. Il assure la sécurité de l’expérience de chacun et la liberté d’expérience, de s’exprimer.  

Diego Merandino : Est-ce que la PCPE est utilisée au sein des groupes de parole ? 

Jean-Marc Priels : Pour ma part, c’est le fondement de l’écoute. Une psychothérapie ne fonctionne pas si les ingrédients de base de la PCPE sont absents. Carl Rogers a exprimé quelque chose de valable pour toute forme de psychothérapie et pour toute forme d’écoute thérapeutique ou de relation d’aide. Le fait que le Funambule travaille avec des facilitateurs de groupe et dans la confiance de l’expérience qu’ils peuvent amener, c’est pour moi dans la continuité de ce que je souhaite. C’est-à-dire que la culture de l’écoute telle qu’elle a été formulée par Carl Rogers puisse être largement répandue. 

 

Diego Merandino : Quels peuvent être les liens entre PCPE et bipolarité ?

Jean-Marc Priels : La Psychothérapie Centrée sur la Personne et Expérientielle a toujours eu vis-à-vis de la psychopathologie différents points de vue.           
Le point de vue le plus pertinent, c’est que selon moi, il est important qu’un psychologue clinicien ou un médecin connaisse ce qui signifie “être bipolaire”, qu’il puisse se questionner sur le diagnostic et la médication. 

Quand j’écoute une personne dans le groupe, c’est la personne que j’écoute d’abord. Le diagnostic n’est pas à l’avant-plan, le diagnostic n’est qu’une partie de ce qui va caractériser le parcours de la personne. La personne dans son chemin est ce qui est important. L’écoute se déroule ici et maintenant dans un groupe avec les personnes qui sont là.      

Chaque groupe à une ambiance complètement différente, un climat différent, des thèmes différents. La PCPE appliquée de manière classique dans les groupes de parole telle que Carl Rogers l’avait imaginée est aussi non directive. Quand un groupe de parole commence, je ne demande pas le prénom des personnes qui sont là, je dis que nous avons du temps ensemble pour partager nos ressentis. Ce qui est important, c’est que les personnes amènent précisément ce pourquoi elles sont là aujourd’hui.  

La Psychothérapie Centrée sur la Personne et Expérientielle, c’est être écouté et faire l’expérience de quelque chose.