La Psychothérapie Centrée sur la Personne et Expérientielle

La Psychothérapie Centrée sur la Personne et Expérientielle

Jean-Marc Priels est psychologue clinicien et psychothérapeute, il est aussi facilitateur du groupe de parole de Jette au sein du Funambule. En 2021, il co-écrit “Psychothérapie centrée sur la personne et expérientielle, fondements et développements contemporains” avec Emmanuelle Zech, Gaston Demaret et Claire Demaret-Wauters.

Dans cette interview réalisée par Diego Merandino, chargé de projet au Funambule, Jean-Marc Priels décrit la Psychologie Centrée sur la Personne et Expérientielle (PCPE) et parle de l’utilisation de cette psychothérapie pendant les groupes de parole. 

Diego Merandino: Bonjour Jean-Marc Priels, tu as co-écrit un ouvrage en 2021 qui s’intitule la Psychothérapie Centrée sur la Personne et Expérientielle (PCPE). Peux-tu expliquer ce qu’est la PCPE ? 

Jean-Marc Priels : La PCPE constitue l’une des quatre grandes familles de psychothérapie. On connaît bien les psychanalyses, les thérapies familiales et systémiques et leurs différentes écoles (Bruxelles, Milan, Rome, Montpellier, etc.), les thérapies cognitivo-comportementales (1ère vague, 2ème vague, 3ème vague) mais il existe également, la Psychothérapie centrée sur la personne et expérientielle (PCPE) qui est une forme de psychothérapie qui a vu le jour en 1940 aux Etats-Unis et dont le fondateur est un Carl Rogers. Ce psychologue enseignant et chercheur qui a étable les fondements pratiques et théoriques de l’écoute centrée sur la personne pour les valider scientifiquement. 

Il s’agit d’une forme de psychothérapie classique qui s’est sans doute moins répandue en Europe francophone mais qui est répandue partout dans le monde. Nous avons co-édité un livre avec Emmanuelle Zech qui est professeure à l’université catholique de Louvain, avec Gaston Demaret et Claire Demaret-Wauters qui sont tous les deux très actifs dans l’Association Francophone de Psychothérapie Centrée sur la personne et expérientielle (AFPC) qui est basée à Bruxelles qui donne des formations (www.afpc.be). Ce livre a coordonné l’écriture d’une vingtaine d’auteurs. Il présente les chapitres principaux qui peuvent décrire la PCPE et fait état de la littérature internationale  et de la validation scientifique actuelle. L’ouvrage a été préfacé par Robert Elliott, chercheur de renommée internationale sur le thème de l’efficacité des psychothérapies.

Diego Merandino : Tu mentionnais Carl Rogers, il a développé un courant qui est celui de l’Approche centrée sur la personne (ACP). Ce concept revient souvent dans l’ouvrage et il est en lien avec la Psychothérapie Centrée sur la Personne et Expérientielle.            

Jean-Marc Priels : Bien sûr, Carl Rogers considérait qu’une personne ne se développe pas toute seule. Une personne se développe en relation, en contact. Carl Rogers a beaucoup abordé la notion de rencontre et l’a bien conceptualisée. Un de ses grands livres s’intitule “les groupes de rencontre”. Les groupes de parole tels qu’ils sont présentés et facilités dans l’association le Funambule s’inspirent de cette manière d’entrer en lien.

Le terme de facilitation vient d’ailleurs de Carl Rogers. Le terme de groupe de parole est lié à l’approche centrée sur la personne au départ. Les groupes de rencontre’ est un livre que l’on peut conseiller à toutes les personnes qui facilitent des groupes de parole. En lisant ce livre, les personnes reconnaîtront leur capacité à faciliter un groupe de rencontre. Un chapitre central s’intitule d’ailleurs “Suis-je capable d’animer ou de faciliter un groupe”. Les personnes qui participent aux groupes du Funambule y reconnaîtront tous les différents moments existentiels de ce qui peut être vécu dans un groupe.

Carl Rogers était réellement centré sur les personnes qu’il écoutait. Quand il écrivait, il se basait sur des éléments du vécu des personnes qu’il avait observées. Il n’est pas parti d’une théorie qu’il appliquait à la pratique ; Au contraire, il observait dans la pratique ce qui se passait, ce qu’il pouvait décrire et c’est à partir de là qu’il a élaboré une théorie pour la valider scientifiquement. L’objet de notre livre était de montrer l’état des lieux de la recherche actuelle sur la question.  Le livre que nous avons co-édité a une teneur assez académique principalement destiné à des étudiants, à des personnes qui se forment ou des personnes qui s’intéressent à la psychologie au sens classique du terme.  

Diego Merandino : A l’origine américaine, qu’en est-il de la Psychothérapie Centrée sur la Personne et Expérientielle en Belgique actuellement ? 

Jean-Marc Priels : Un des grands centres de recherche et d’enseignement sur la PCPE a toujours été l’université catholique de Louvain (KU Leuven) qui a été dès les années 50 une des voies d’introduction de la psychothérapie centrée sur la personne en Europe. Les premiers ouvrages publiés en français venaient de la KU Leuven.   En Belgique francophone, c’est une association – Association Francophone de Psychothérapie Centrée sur la personne et expérientielle” qui a assuré depuis la fin des années 80, la formation de toute personne intéressée par l’approche centrée sur la personne. Actuellement la PCPE est également enseignée dans le cadre d’un certificat universitaire de la Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation de l’UCLouvain (Louvain-la-neuve).
La PCPE s’était effacée de l’université francophone en Belgique depuis la fin des années 80. Or, dans le sillage de la nouvelle loi sur la psychothérapie, elle a resurgi. A UCLouvain, le professeur Emmanuelle Zech a réintroduit les cours inspirés de l’ACP dans le cursus de a faculté de psychologie et a créé un certificat complémentaire de PCPE pour des médecins et des psychologues cliniciens qui veulent se former à cette forme de psychothérapie humaniste. Ce livre vient d’une nécessité de pouvoir donner un état des lieux de la recherche universitaire et conceptuelle de la PCPE et de ses évolutions récentes.
 

Diego Merandino : Est-ce qu’il y a d’autres thématiques abordées dans le livre ?             

Jean-Marc Priels : L’ouvrage est essentiellement centré sur la PCPE Il en présente les lignes principales  envisagée au départ de façon classique depuis les années 40 suite à de célèbres articles de Carl Rogers. En 56-57, elle s’est élargie et quelques nouveautés qui ont été introduites et elle a évolué. Le sous-titre de notre livre  indique “Fondements et développements contemporains”. Nous trouvons en effet des chapitres sur le Focusing qui est une approche de travail focalisée sur le corps, sur les applications en groupe, sur la thérapie par les arts expressifs, sur l’entretien motivationnel, sur la psychothérapie centrée sur les émotions qui est un des grands développements actuels ou encore sur la Pré-thérapie qui permet de travailler avec des personnes qui ont des besoins spécifiques de contact parce qu’ils vivent avec des processus hallucinatoires, délirants, des processus de déclins cognitifs ou de non-acquisition de ressources cognitives suffisantes.

La PCPE est un corpus, une pratique théorique et scientifique qui reste en évolution.  Il était nécessaire d’en faire l’état des lieux dans un livre parce que toute cette évolution s’est faite essentiellement aux Etats-Unis, en Autriche, au Japon, en Allemagne, en Russie, très fort en Amérique du Sud ou en Italie, etc. mais dans une littérature essentiellement produite en langue étrangère. Nous avons tenté de faire l’état des lieux des connaissances internationales. 

 Diego Merandino : Au niveau pratique, comment expliquer la PCPE ? 

Jean-Marc Priels : Le concept qui a été le plus mis en avant par la PCPE est le concept d’empathie mais elle ne se limite en rien à cette attitude. Carl Rogers dans sa recherche, dès les années 50, a également validé le fait que la psychothérapie fonctionne si le psychothérapeute ou l’écoutant est vraiment lui-même au moins à minima au moment de la thérapie, c’est-à-dire qu’il est congruent. La congruence est une première condition de base. La deuxième condition de base propre au psychothérapeute est qu’il pose sur la personne qui est écoutée un regard positif inconditionnel.  La troisième condition est celle qui est la plus connue de l’écoute compréhensive. Cette écoute est empathique. Chez Carl Rogers, le processus psychothérapeutique ne fonctionne cependant pas si la congruence du thérapeute, le regard positif inconditionnel et l’empathie ne sont pas présents ensemble dans l’attitude du thérapeute.            
 

Un autre concept important de Carl Rogers dans la psychothérapie, c’est qu’il faut qu’il y ait un minimum de contact psychologique entre l’écoutant et l’écouté. Pour les personnes bipolaires, il convient parfois de restaurer et renforcer ce contact psychologique. Etablir le contact psychologique et ne pas le perdre est important. Il convient que la personne qui est écoutée perçoive que toutes ces conditions soient présentes lors de la rencontre avec le thérapeute.

Ce qui est « magique » dans les groupes du Funambule, les personnes disent “je suis venu et je me suis senti écouté par des pairs qui sont vraiment eux même dans leurs témoignages, qui acceptaient ce que je disais, qui étaient authentiques et empathiques par rapport à ce que j’ai pu exprimer”.  De ce point de vue, la pair-aidance est un levier extraordinaire. Si le groupe de parole est bien facilité, l’écoute n’appartient pas uniquement au psychothérapeute. Elle est partagée par chacun. 

Diego Merandino : Tu es bénévole dans l’association le Funambule, peux-tu expliquer ce qu’est un groupe de parole et comment cela se déroule ?  

Jean-Marc Priels : Le cadre d’un groupe de parole est très simple. En soi, il suffit de dire une seule chose “Mesdames, messieurs, nous sommes ici rassemblés dans un cercle de chaises, nous avons 2 heures devant nous. Ce qui nous rassemble, c’est notre bipolarité. Et puis, écoutons-nous …” Si les conditions d’écoute sont présentes, le processus du groupe va se développer et les personnes vont ressortir de ce groupe avec une évolution positive. Les ingrédients sont très simples mais ce sont des ingrédients d’attitude à mettre en place par le facilitateur. Cela nécessite beaucoup de contact psychologique, beaucoup de présence, beaucoup de profondeur relationnelle.  Toute parole est la bienvenue même si nous ne sommes pas obligés de parler. C’est avant tout un groupe d’écoute. La parole c’est le corollaire de l’écoute. 

 Diego Merandino : Quel est le rôle d’un facilitateur dans les groupes de parole ?  

Jean-Marc Priels : Le rôle du facilitateur est de faire respecter une certaine partie des règles et la charte du Funambule. Il ne faut pas que les personnes se comparent entres elles, ne pas parler de la médication et ne pas poser de diagnostic. Si c’est nécessaire, inviter la personne à questionner son médecin. 
Le facilitateur pose un cadre de confidentialité et de respect mutuel. Le rôle du facilitateur est de respecter la charte éthique du Funambule et puis de faciliter dans le groupe la prise de parole de chacun. Il veille également à ce que les personnes ne partent pas avec quelque chose qu’elles auraient voulu dire. Il assure la sécurité de l’expérience de chacun et la liberté d’expérience, de s’exprimer.  

Diego Merandino : Est-ce que la PCPE est utilisée au sein des groupes de parole ? 

Jean-Marc Priels : Pour ma part, c’est le fondement de l’écoute. Une psychothérapie ne fonctionne pas si les ingrédients de base de la PCPE sont absents. Carl Rogers a exprimé quelque chose de valable pour toute forme de psychothérapie et pour toute forme d’écoute thérapeutique ou de relation d’aide. Le fait que le Funambule travaille avec des facilitateurs de groupe et dans la confiance de l’expérience qu’ils peuvent amener, c’est pour moi dans la continuité de ce que je souhaite. C’est-à-dire que la culture de l’écoute telle qu’elle a été formulée par Carl Rogers puisse être largement répandue. 

 

Diego Merandino : Quels peuvent être les liens entre PCPE et bipolarité ?

Jean-Marc Priels : La Psychothérapie Centrée sur la Personne et Expérientielle a toujours eu vis-à-vis de la psychopathologie différents points de vue.           
Le point de vue le plus pertinent, c’est que selon moi, il est important qu’un psychologue clinicien ou un médecin connaisse ce qui signifie “être bipolaire”, qu’il puisse se questionner sur le diagnostic et la médication. 

Quand j’écoute une personne dans le groupe, c’est la personne que j’écoute d’abord. Le diagnostic n’est pas à l’avant-plan, le diagnostic n’est qu’une partie de ce qui va caractériser le parcours de la personne. La personne dans son chemin est ce qui est important. L’écoute se déroule ici et maintenant dans un groupe avec les personnes qui sont là.      

Chaque groupe à une ambiance complètement différente, un climat différent, des thèmes différents. La PCPE appliquée de manière classique dans les groupes de parole telle que Carl Rogers l’avait imaginée est aussi non directive. Quand un groupe de parole commence, je ne demande pas le prénom des personnes qui sont là, je dis que nous avons du temps ensemble pour partager nos ressentis. Ce qui est important, c’est que les personnes amènent précisément ce pourquoi elles sont là aujourd’hui.  

La Psychothérapie Centrée sur la Personne et Expérientielle, c’est être écouté et faire l’expérience de quelque chose.